En ce 12 novembre, il est temps de donner la parole non pas à une auteure, comme les semaines précédentes, mais à un auteur, Maxime Duranté. Fondateur de « L’Attelage », une communauté de jeunes auteurs qui souhaitent partager leurs univers, et à l’origine de la série Les serres du griffon, Maxime Duranté a accepté de répondre à mes questions.
Mais pour commencer, je vous laisse découvrir le synopsis de son premier tome :
Il est une lame comme une hirondelle,
Qui d’avoir avec la Mort par trop chanté,
A perdu toute la force de ses ailes ;
Depuis lors dans les neiges demeure figée.Son fil en parts égales d’acier et de sang
Dort profondément au creux du nid glacé.
Souvent pour un rougegorge on la méprend,
Mais ce n’est qu’un masque qu’elle n’a su ôter.Sur Norrasq brillera une aurore prochaine,
La neige de son cercueil alors fondra.
Eveillé par le feu solaire de la peine,
Son trille porté au sud retentira.
Tu es le fondateur de la communauté « L’Attelage », qui permet, entre autres, à de jeunes auteurs indépendants de partager leurs écrits ainsi que d’instaurer un dialogue entre auteurs et lecteurs. Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans ce projet ?
Si on revient vraiment à la genèse du projet, c’est un profond sentiment d’injustice en perpétuelle croissance : toute la « chaîne du livre » parvient à vivre de son activité, sauf les auteurs ! On recense en effet quelque quarante écrivains et écrivaines vivant de leur plume, et environ 1700 déclarant des revenus supérieurs à 7300 euros en France… À titre de comparaison, on dénombre plus de 2800 auteurs publiés dans la seule région bretonne ! Notre précarité ne fait pas l’ombre du début d’un quart de doute, et la littérature en souffre tant en termes de rythme que de qualité d’écriture. Ce que je voulais, c’était jeter un regard critique sur nos habitudes de publication et voir si, en nous organisant efficacement, nous étions capables de remplacer les autres intermédiaires de la chaîne : travailler les textes nous-mêmes, en parler nous-mêmes, gérer notre propre budget, etc. Dans un sens, c’est une expérience d’autarcie ! Passer du temps sur Wattpad m’a convaincu que le lectorat était une source inestimable d’échanges et de motivation car, après tout, c’est à lui que nous écrivons… non ? Je me suis aperçu d’un truc pourtant limpide : le plus sûr moyen d’aboutir au meilleur texte possible pour les lecteurs, c’est encore de travailler avec eux. De là, nous avons eu l’idée de mettre ce système d’abonnement et de publication épisodique en place, afin de permettre à toutes celles et à tous ceux qui le souhaitent de suivre nos histoires pas à pas. Entre nos processus de révision interne et l’avis du lectorat, nous avons créé un espace d’expérimentation littéraire où chacun peut s’exprimer, et ça, c’est quand même super agréable au quotidien !
As-tu eu une expérience de l’édition traditionnelle ou t’es-tu directement lancé dans ce projet ?
Je n’ai pas eu une expérience de publication à proprement parler, en ceci que je n’ai jamais été édité : toutes mes accointances du milieu ont achevé de m’en dissuader. Je parle régulièrement avec des ami/es qui me racontent comment les choses se déroulent, quand ces personnes ne sont pas dans le circuit elles-mêmes… en tant qu’éditrices ! Étant (très modestement) correcteur freelance, il m’est arrivé d’approcher, de bosser et de me faire exploiter par des maisons d’édition, dont j’ai pu apprécier le mode de fonctionnement. En tout état de cause, je me documente énormément – je lis tous les rapports qui sortent, de tous les organismes possibles et imaginables, y compris la Société des Gens de Lettres, le Syndicat National de l’Édition, les communiqués des maisons, petites et grandes… C’est une bataille féroce qui se déroule sans que le lectorat ne s’en aperçoive, et, très sincèrement, je ne pense pas que les auteurs non plus aient conscience des enjeux pour lesquels ils se font envoyer au pilon par vagues successives. Quand on voit ce qui peut arriver à une maison flouée par son diffuseur, on n’a pas spécialement envie de se retrouver dans le feu croisé… En somme : une expérience de publication traditionnelle, non, mais une solide connaissance grâce à laquelle je m’en tiens aussi loin que je peux !
Comme tu le soulignes dans ta réponse et sur ton site, c’est avant tout le travail de création et le dialogue entre auteur et lecteur qui sont mis en avant. Es-tu satisfait des résultats obtenus jusqu’à maintenant ?
Non ! Mais au sens où j’aimerais renforcer ce partenariat avec les lectrices et lecteurs ; c’est l’objectif que nous poursuivons avec la nouvelle version du site en chantier. Actuellement, il faut s’inscrire, télécharger des fichiers, prendre des notes depuis les PDF ou les epubs – peu pratique, on s’en doute –, puis revenir sur le site, trouver la bonne sous-section du forum, écrire son commentaire… ouf ! J’en profite pour congratuler les personnes qui ont passé ce parcours du combattant, parce qu’il fallait en vouloir. Nous avons eu de très, très belles participations ; je dois néanmoins avouer que le phénomène s’est essoufflé à cause de ces difficultés techniques. Nous visons une interface beaucoup plus simple et plus intuitive, à l’image de Wattpad : le lecteur arrive, lit, s’inscrit s’il veut laisser un commentaire, et ce, directement sur la page du récit 🙂
Tu es l’auteur de la série Les serres du griffon, dont le premier tome est disponible sur « L’Attelage ». Où as-tu trouvé l’inspiration pour créer un tel univers ?
À l’origine, l’univers dans lequel s’inscrivent Les Serres du Griffon devait servir à un jeu de rôles sur lequel je travaillais avec un ami, abandonné depuis. Il a subi d’innombrables modifications, des premières esquisses faites en prépa à son itération actuelle ; j’ai par exemple remplacé tous les noms à sonorité anglaise par des équivalents français : « Greenvale » est ainsi devenu « Val-Sinople », pour ne citer que ce lieu. Je trouve que ça donne plus de consistance et de cohérence à un univers, et je ne me voyais pas lire à voix haute « Grinevayle » en plein milieu d’un passage en français. Une bonne partie des personnages a subi une cure de « franchouillardisation » pour refléter ce changement : on trouve des « Cyril », des « Gilles », etc. Au début, on a peut-être l’impression que ça « fait moins classe », mais on s’y habitue vite, et je pense même que ça participe à une meilleure immersion dans l’atmosphère médiévale. Je n’ai pas renoncé pour autant à l’onomastique « Fantasy », qu’on se rassure, mais enfin, ça donne un certain cachet désuet, à mon avis ? Bref, je me suis un peu égaré en route. Pour revenir à l’univers, je le définis comme de la « Mid-Fantasy », c’est-à-dire un compromis entre des éléments merveilleux avérés – la magie, les griffons, les dragons… – et leur insertion dans un contexte géopolitique sinon réaliste, au moins crédible. J’essaie, et ça me prend pas mal d’énergie, de décrire comment on peut être « chevaucheur de griffon » au sein d’une unité militaire ; j’essaie de planter une condition sociale pour les utilisateurs de la magie ; j’essaie de traiter la place des dragons dans un univers dominé par la race humaine. Sous cet angle, je crois qu’on peut rapprocher ce que je fais de The Witcher, à ceci près que je n’opère pas une séparation nette entre « les monstres » et « le royaume des Hommes » : je tente de faire fonctionner les deux comme un seul système. Si on s’attaque à ce qu’on trouve dans l’univers, on ne trouvera pas de trucs foncièrement « révolutionnaires » ; je m’étais lancé le défi d’écrire quelque chose d’assez classique et d’y apporter une dose de détails qu’on voyait rarement ailleurs, dans cet effort de rendre l’histoire vraisemblable. Mon ambition, c’est qu’on croie avec sincérité que cet univers pourrait être le nôtre parce que l’être humain y a un rôle auquel on peut s’identifier : j’évite les enfants élus de la prophétie, les interventions divines, et toutes ces choses qui sont résolument High Fantasy. Ce que ça signifie concrètement, c’est que ce roman parle surtout de femmes et d’hommes, de leur quotidien, de leur façon d’appréhender ces éléments qui nous sont inconnus : qu’est-ce qu’on ressent face à un dragon, quand on n’a pas une prophétie au-dessus de sa tête ? Dans la piétaille, lorsque vient la charge de cavalerie ? Comment triompher face à une magicienne quand on n’a rien d’autre qu’une épée et une cuirasse ? Là, j’envoie du rêve : toutes ces questions n’ont pas encore été abordées dans le texte, mais elles sont prévues. Le reste du temps, je me consacre à l’atmosphère, aux mécanismes du monde qui se mettent en branle, etc.
Sais-tu déjà quand la suite sera disponible en ligne ?
Avant de répondre à la question, je tiens tout de même à rappeler que les quatre chapitres présents sur le site sont longs, très longs. Ils ne renferment pas moins de soixante-dix-milles mots, soit l’équivalent d’un roman standard ! Je travaille encore aux finitions du chapitre IV – non, il est toujours pas achevé, et oui, précisons aux lecteurs que je n’ai pas jeté l’éponge – et je sais parfaitement où aller, ce premier tome étant une réécriture du manuscrit rédigé quand j’avais vingt ans. Je répèterai à dessein le verbe en disant qu’écrire Les Serres du Griffon, c’est réellement « travailler » : tant sur le fond que sur la forme, ce texte requiert énormément de concentration et de temps pour qu’une session passée dessus aboutisse à quoi que ce soit. Ce n’est pas que je n’y prends aucun plaisir ; c’est que je peux dépenser une journée entière dans un paragraphe, qu’une phrase peut dévorer un après-midi à elle seule, et qu’un mot peut me plisser le front durant une heure. Bien sûr, je n’entends pas que mon récit est exceptionnel, ou même bon – je vous laisse en juger. Simplement, je m’échine à atteindre un rendu bien particulier qui me demande beaucoup d’efforts. Si le résultat ne me plaît pas, je me fracasse contre le clavier jusqu’à obtenir satisfaction, et cette exigence est d’autant plus essentielle que le texte doit être publiable au fur et à mesure de sa rédaction : je ne peux pas repousser la révision à une date ultérieure ! J’écris en ayant à l’esprit que le premier jet doit être le dernier. Tout ceci explique, j’espère, que je suis incapable de soutenir un rythme de publication élevé sans un soutien financier suffisant – je ne parle pas de confort, parce qu’aucun auteur ne le peut, mais de soutien. Il me faut partager mon temps entre la poursuite d’un argent fugitif et mes loisirs ; l’on comprendra donc pourquoi bûcher sur Les Serres du Griffon n’est pas exactement l’exutoire que je choisis après une journée perdue à corriger, traduire, ou rédiger d’autres types de contenus pour remplir mon assiette. Je sais que je m’étends un peu trop sur la question ; j’aimerais néanmoins réaffirmer la valeur du pacte entre l’auteur et ses lecteurs, car c’est de cet engagement réciproque que peut naître un travail régulier, profond, et de qualité. Alors, une date ? Malheureusement, je n’en ai pas. D’une façon ou d’une autre, je dois trouver la stabilité qui me permettra de mener cette écriture avec davantage de sérénité. Assez ironiquement, des publications annexes et, peut-être, plus intellectuelles, comme mes articles sur la stylistique, ou celui que je prépare sur les rapports de force entre auteur et éditeur, me sont d’un meilleur agrément lorsque je veux me détendre.
Quels sont tes projets pour les mois et années à venir (en tant qu’auteur indépendant ou avec « L’Attelage ») ?
Dans les mois à venir, j’aimerais arriver à introduire les « antagonistes » des Serres du Griffon – les Alnorriens dont je rebats les oreilles de tout le monde ! C’est un immense défi pour moi, car je vais rentrer dans la « terre inconnue » que je n’avais pas même commencé à aborder dans le premier jet du roman ; j’ai en effet prévu de proposer un second point de vue, qui suivra l’un de ces Alnorriens en particulier, et que je réserverai aux abonnés de « L’Attelage » en guise de « bonus ». Si vous avez l’envie, ou la curiosité, de voir ce qu’il se trame « de l’autre côté » – faut que j’arrête avec les guillemets, dites donc –, Taldred devrait pouvoir répondre à vos questions… ou en susciter de nouvelles ! J’ai plusieurs objectifs pour ce personnage, le premier étant de développer une narration qui se distingue de celle de Sunie – un style qui lui serait propre –, et, le second, de donner des éléments de l’intrigue qui permettront aux lecteurs d’avoir une sorte d’avance sur les protagonistes ; ils disposeraient à la fois des indices glanés par Sunie et par Taldred, et je dois donc m’assurer que le puzzle résultant n’est ni trop évident à assembler, ni trop cryptique ! Sans compter que l’histoire doit rester cohérente et compréhensible quand on ne lit que la partie gratuite de Sunie… Il y a de quoi faire ! À plus long terme, le but du jeu va être de stabiliser « L’Attelage » pour, petit à petit, entrer dans un mode de fonctionnement plus professionnel et plus régulier. L’idéal serait bien entendu de pouvoir m’y plonger à plein temps, mais je ne me fais pas trop d’illusions à ce sujet pour les années à venir. Je voudrais déjà parvenir à une situation telle que je n’aurais plus besoin de courir après les missions freelance pour subvenir à mes dépenses élémentaires ; ça me permettrait d’accélérer tout le reste, vraiment. Nous aurons beaucoup de choses à faire avec le lancement de la V2, des choses qui nécessiteront un engagement important de la part de l’équipe : mise à niveau des textes, concours pour lancer la croissance, changement de forme juridique, accueil des nouveaux, etc. Bref, il va se passer pas mal de trucs et il conviendra de rester sur le pont pour faire face à cette déferlante !
Un immense merci à Maxime Duranté qui a pris le temps de détailler ses réponses pour nous offrir cette si belle interview. Si vous souhaitez soutenir son projet, rendez-vous sur « L’Attelage » ainsi que sur son Twitter.
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