– Interview + Cultura Trignac –
1. Dans vos trois romans, le personnage principal est un jeune homme au destin plutôt tragique. D’où vient cette volonté de mettre en scène ce type de protagoniste ?
Si dans mes romans le personnage principal est un jeune homme au destin tragique, la raison en est simple : j’ai eu des parents merveilleux, une enfance et une jeunesse heureuses. J’ai été choyée. Par contre, ce n’est malheureusement pas le cas de tous les jeunes. Les adolescents et les jeunes gens m’intéressent car c’est une période très courte de notre vie, qui n’est pas toujours facile à vivre.
L’adolescence est un moment où l’on se cherche. Si l’on a la chance, comme ce fut le cas pour moi, de vivre dans une famille heureuse, avec des parents compréhensifs, présents, qui m’ont toujours fait confiance, cette période donc, où l’on a tendance à se révolter contre l’ordre établi, est certainement plus facile à appréhender dans ces conditions.
L’adolescence est souvent synonyme d’égoïsme. Et ce n’est que bien plus tard, lorsqu’on a soi-même fondé une famille, que l’on en prend pleinement conscience. Mais il est souvent trop tard pour s’excuser auprès de ses parents, les remercier et leur montrer notre amour.
Durant cette période, l’adolescent a consciemment ou inconsciemment envie de suivre le chemin de l’un des parents, même si ces derniers lui laissent le libre-choix de la carrière. Mais il n’en est pas toujours de même. Lorsqu’il s’agit de dynastie, où l’aîné doit impérativement succéder à son père, suivre ses traces, la tradition l’imposant. La révolte face à cet ordre établi peut avoir des conséquences dramatiques. C’est l’un des sujets de mon roman Le Violon Enchanté.
Ensuite, il y a le problème de la famille recomposée, situation banale de nos jours, car entrée dans les mœurs. Or, il n’en était pas de même au début du XX° siècle, où avoir un enfant hors mariage était impensable, et constituait une faute grave. Que d’enfants n’ont-ils pas été abandonnés ? Que de mères n’ont-elles pas rejeté leur faute sur l’enfant le rendant ainsi responsable de cette situation ?C’est le sujet du Chemin sans Étoile.
Un autre sujet surtout rencontré dans l’Histoire, est l’acceptation en toute connaissance de cause de son destin. Peut-on accepter de monter sur le trône afin de sauver son pays de son annexion par une autre puissance, sachant que cela se fera inexorablement au détriment de sa propre vie, permettant ainsi à son successeur de monter sur le trône du pays ainsi libéré ? C’est le sujet de La Tragédie de Waltenburg.
Ces trois personnages sont des jeunes gens, à peine sortis de l’adolescence, certes, mais ils ont déjà le sens des responsabilités. N’est-ce pas à cet âge que l’on a la générosité, le sens du don de soi, que l’on a tendance à perdre en vieillissant ? La jeunesse est généreuse, enthousiaste, toujours prête à aider son prochain. Elle n’est pas encore corrompue par l’argent, le besoin de faire carrière, etc. Comme l’a dit Jean-Jacques Rousseau : « L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt ». Lorsqu’on écoute les actualités, lorsqu’on lit les journaux, que de fois ne sommes-nous pas confrontés à cette triste réalité, d’enfants martyrisés par d’indignes parents et même sans aller jusque–là, la simple préférence accordée à l’un des enfants par rapport à son frère, par exemple. L’un est choyé tandis que l’autre, en général l’aîné, est maltraité, ou subit l’indifférence des parents. Je suis, en quelque sorte, obsédée par ses situations dramatiques qui touchent toutes les époques. L’histoire en est remplie, telle celle du fils de Napoléon I°, Napoléon II dit l’Aiglon, prisonnier à Vienne de Metternich et de la politique. Il fut abandonné par sa mère l’ex-Impératrice Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, qui disait qu’on l’avait vendue à « L’OGRE » Napoléon, et qui déjà du vivant de ce dernier, s’était liée au général Neipperg dont elle avait eu deux enfants. N’a-t-on pas raconté que ces deux enfants avaient joué avec le masque mortuaire de Napoléon, en le traînant attaché à une ficelle ! La jeunesse me fascine car je la sais très vulnérable. Mais il y a également la question de l’éducation, de l’autorité paternelle. Longtemps la parole du père était indiscutable, son autorité non contestable. Dans mes romans c’est pratiquement ce despotisme paternel qui est invoqué ce dernier s’étendant à toute la famille. D’où l’évolution de l’éducation. A celle quasiment militaire, et cela jusqu’au milieu du XX° siècle, sans parler de celle des princes, fils de nos souverains, dont la sévérité laisse sans voix, s’oppose maintenant l’éducation libérale de notre société. Le laxisme de notre époque peut avoir des conséquences dramatiques. Autrefois la base de l’éducation s’appuyait sur les châtiments corporels. Heureusement cela a pratiquement disparu. Mais la notion de l’enfant-roi, n’est pas sans effets pervers. A mon sens l’éducation doit se faire sur la base de l’amour, du dialogue. L’enfant doit avoir confiance en ses parents, il doit savoir pouvoir compter sur eux. L’enfant a besoin de discipline, de barrière. Cela le sécurise. De même, la présence des deux parents dans le foyer familial est primordiale. Or l’explosion de la cellule familiale, les familles recomposées, même si tout se passe bien, cela crée une instabilité, qui peut avoir des conséquences dans le futur.
2. Nous pouvons retrouver une part historique dans chacun de vos romans. L’Histoire vous a-t-elle toujours captivée ?
L’Histoire m’a très tôt intéressée. C’est dû à mon père, archiviste Paléographe, donc diplômé de l’École des Chartes de Paris, qui très tôt a su me captiver, en me la racontant de façon ludique. Née à Paris, habitant le quartier Latin, lorsque nous nous promenions le dimanche, à pied dans Paris, il me disait de toujours lire le nom des rues que nous arpentions. Il me racontait des anecdotes sur les personnages que l’on avait ainsi honorés. De même, il me montrait les façades remarquables de certains immeubles, me donnant des détails sur leur architecture. Il me faisait également lire les plaques commémoratives apposées sur les murs. Tout cela constituait une véritable leçon d’Histoire vivante, car il avait l’art de raconter en se mettant à ma portée. Je ne l’oublierai jamais. J’aurais voulu être prof d’Histoire mais à l’époque il fallait avoir étudié le latin et j’avais suivi une filière scientifique, étant très bonne en math. D’autre part n’ayant pas la télévision, nous écoutions beaucoup la radio et notamment les émissions comme « La Tribune de l’Histoire » ou plus tard au temps de la fac, « Les Nuits du Bout du Monde » de Stéphane Pizzela ou encore « Flânerie dans ma Bibliothèque ».

3. A travers vos intrigues, le lecteur est amené à voyager. Avez-vous déjà visité toutes les destinations dont vous parlez ou est-ce le résultat d’un grand travail de recherche ?
Naturellement tous les lieux décrits dans mes romans sont des souvenirs personnels. Avec mes parents et ma sœur, nous avons beaucoup voyagé étant enfants puis adolescentes. La description de Paris où je suis née et où j’ai vécu jusqu’à ma retraite en 2006 est une évidence. Mon père était le deuxième enfant d’une fratrie de six enfants. Nés en Europe centrale, ils ont tous émigrés, mes parents en France, un oncle prêtre et professeur à l’université de Vienne en Autriche, mes tantes ayant épousé des américains certaines sont parties aux États-Unis et l’une d’entre elles a longtemps vécu dans diverses bases américaines en Allemagne, comme à Francfort-sur-Main, Kaiserslautern ou Heidelberg. C’est ainsi que nous avons souvent passé nos vacances en Autriche à Vienne. Je connais donc parfaitement la capitale autrichienne, que j’aime énormément. Les anecdotes décrites dans mes livres, notamment dans Le Violon Enchanté sont celles que m’a racontées mon oncle, lorsqu’il nous faisait visiter tous ces monuments. J’ai aussi visité Mayerling où est mort l’archiduc Rodolphe, le fils de l’impératrice Sissi et de l’empereur François-Joseph. La villa est maintenant occupée par des religieuses. Toutes les descriptions sont donc des souvenirs et des connaissances personnels. Chaque fois que je visitais un lieu ou un monument, je tenais une sorte de journal, conservant même les tickets d’entrée. Ayant tout gardé, je n’ai eu qu’à m’y replonger pour tout revivre. Que de souvenirs !
4. Si vous deviez écrire un genre très différent du vôtre, lequel choisiriez-vous ?
Cette question est très difficile. En fait je ne sais pas. Il est vrai que je me la suis déjà posée, lorsqu’il s’agit d’entreprendre un nouveau roman. Je sais que je suis incapable d’écrire un roman policier. Je suis trop marquée par Agatha Christie, Conan Doyle, Simenon, les romans policiers de la période Elisabethaine. Je n’aime pas les romans policiers modernes, avec alcool, sexe, etc. Je ne les dédaigne pas, mais cela ne m’intéresse pas. De même, je suis incapable d’écrire de la poésie, trop tentée de plagier Lamartine, Verlaine… Quant aux romans sentimentaux, là non plus cela ne m’attire pas. En bref, les sujets sont limités. Par conséquent, je cherche toujours à mettre mes jeunes gens dans des situations impossibles, mais toujours avec un fond Historique. Étant mélomane, ne pouvant absolument pas me passer de Musique Classique, elle a toujours été mon moteur, même au temps de mes études. Sans oublier les mathématiques. Alors que répondre à votre question ? Je ne sais pas.
5. Vous participez régulièrement à des salons littéraires. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ces événements ?
a) Parce que cela me plaît de rencontrer d’autres écrivains, de faire leur connaissance, de découvrir ce qu’ils écrivent. J’ai pu constater, à cette occasion, que beaucoup étaient comme moi des retraités. Cela m’a enlevé mes complexes. Car même si la tête reste jeune en pensée, en action, le physique ne peut se cacher. C’est donc agréable de se retrouver dans ces conditions si enrichissantes, les auteurs venant d’horizons différents, de métiers différents.
b) Il est passionnant de rencontrer les lecteurs, de discuter avec eux. Car même s’ils ne viennent dans ces manifestations que dans le seul but de passer le temps, il est amusant de les voir déambuler entre les tables, en jetant des regards plus ou moins distraits sur la couverture des livres.
c) De les entendre vous répondre, lorsque vous essayez d’engager le dialogue :
– …Vous savez je ne lis pas !…
– …Je n’ai pas le temps de lire !…
Ou encore :
– Excusez-moi, mais je n’ai pas mes lunettes !…
Et :
– …C’est vous qui avez écrit ces livres ?…
Et il y a ceux qui parcourent les allées à fond de train. Dans ce cas vous avez envie de leur offrir des patins à roulettes. Mais évidemment je participe à ces manifestations pour discuter avec les visiteurs. Chaque rencontre est enrichissante. Que ces personnes lisent beaucoup ou peu, lorsqu’elles vous en parlent, elles vous révèlent une petite partie de leur personnalité. Même si ce que vous écrivez ne correspond pas à leur préférence, même si vous ne vendez rien, ce qui est souvent le cas, le livre se révélant trop cher, vous n’avez pas perdu votre temps. Vous avez partagé vos idées, parlé du sujet de vos livres. Pourquoi lisent-elles ? Pourquoi ne lisent-elles pas ? Par manque de temps ? Peur de faire l’effort de partir à la découverte d’un sujet qu’elles ne connaissent pas ? Ce qui me plaît donc, c’est le contact humain, cette opportunité de sortir de l’isolement de l’écrivain, du retraité. Car à la retraite l’on se sent mis à l’écart de la société active, surtout si l’on a comme moi, eu un métier en contact avec le public, étant pharmacien.
Un grand merci à Wanda-Dominique Tahar-Lang de m’avoir accordé de son temps pour discuter avec moi et répondre aussi précisément à mes questions. Si vous souhaitez découvrir ses romans, ils sont publiés aux éditions Amalthée.
Retrouvez dès à présent mes critiques sur ses trois romans :
Le chemin sans étoile + La tragédie de Waltenburg + Le violon enchanté
1 réflexion au sujet de “Entretien avec Wanda-Dominique Tahar-Lang – 13 mai 2017”