Bonjour à tous !
Le 13 mai 2017, à l’occasion de sa séance de dédicaces à Cultura Trignac, j’ai eu le plaisir de poser quelques questions à Wanda-Dominique Tahar-Lang, l’auteure à l’époque de trois romans, publiés aux éditions Amalthée. Depuis, un quatrième livre a été édité. Aujourd’hui, je reviens donc avec une nouvelle interview afin de vous présenter son dernier livre, Le Concerto de Copenhague, paru le 20 septembre 2017. Voici le synopsis :
Nommé à la chaire d’astrophysique de la Faculté des sciences de Paris et de retour dans son quartier d’enfance, Stéphane est assailli par le souvenir de ses quatre amis et des événements de l’été 1950. L’année de leurs quinze ans, l’année où tout a commencé avec la musique, le Conservatoire national supérieur et le Concerto pour clarinette de Mozart…
1950 ! La Seconde Guerre mondiale vient à peine de se conclure, et pourtant nombre de chasses aux sorcières continuent. Comment Ronald, dont les parents se sont trouvés au cœur du conflit, deviendra-t-il l’instrument d’une vengeance ? Qui devra-t-il venger et pour le compte de qui ? Peut-on faire confiance à son voisin, ses amis, en ces temps troublés où tout est sujet à suspicion ?
C’est au cours d’un camp d’été, à Châtel en Haute-Savoie, que le drame, latent, va éclater. Ses conséquences vont transformer les cinq amis, les faisant passer de l’adolescence aux réalités des adultes. Peut-on sortir indemne, physiquement et mentalement, de telles circonstances ?
Découvrez également par l’intermédiaire de ces quelques questions les autres écrits de Wanda-Dominique Tahar-Lang et ses nouveaux projets.
Dans chacun de vos romans, l’Histoire a une place importante. Vous nous aviez d’ailleurs déjà expliqué dans une autre interview que c’est un domaine qui vous a intéressée très jeune. Dans Le concerto de Copenhague, votre dernier roman publié, vous avez choisi de mettre en avant la période d’après-guerre (1950, pour être exacte). Pourquoi cette période plutôt qu’une autre ?
Comme je l’ai effectivement expliqué antérieurement, c’est mon père diplômé de l’École des Chartes de Paris qui m’a, très tôt, donné l’amour de l’Histoire. Elle nous permet de nous évader de notre quotidien souvent difficile, mais également, le passé expliquant le présent, il y est intimement mêlé.
Si l’on prend la peine d’y réfléchir, on est obligé de constater que l’Histoire se répète, les mêmes causes produisant les mêmes effets. D’autre part, les peuples ont la mémoire courte. Ils honnissent ce que peu de temps auparavant ils vénéraient.
Pour quelle raison ai-je choisi de placer l’histoire de mon roman Le Concerto de Copenhague dans l’après-guerre ?
En 1950 j’avais cinq ans. Avec mes parents et ma sœur, nous habitions dans le cinquième arrondissement à Paris, dans cette rue Lhomond, située derrière le Panthéon. Et c’est dans le quartier de mon enfance que je place l’un de mes protagonistes, Stéphane. J’ai des souvenirs très précis de cette période. J’ai en mémoire des images très nettes de mon quartier, de l’ambiance qui y régnait, des rues que je parcourais. Toutes mes descriptions de ce quartier sont rigoureusement exactes. Je revois la vétusté de la plupart des immeubles côtoyant des habitations haussmanniennes et même, un petit hôtel particulier. Je revois la façon dont nous étions habillés, la précarité, les difficultés à se loger, le manque d’argent de la population. Mais il régnait dans mon quartier une solidarité, une simplicité sans égales. En fait, il suffit de regarder les photos du grand photographe Robert Doisneau, les films de cette époque pour se plonger dans cette atmosphère. Il n’y avait pas la dictature de l’argent, des marques. A l’école il n’y avait pas la mixité. L’uniforme existait dans certains établissements. Je l’ai porté jusqu’en terminale et cela ne m’a pas traumatisée. Au contraire. Nous étions toutes identiques. Pas de jalousie, pas de compétition vestimentaire, pas de discrimination sociale.
Quant à mon roman, je l’ai placé également à cette époque, car en dépit de l’armistice, du retour à la paix, il existait une autre conséquence à cette horrible guerre : la vengeance. Il y a eu des chasses aux sorcières, des règlements de compte envers les personnes s’étant prêtées au marché noir, s’enrichissant sur le dos des pauvres gens, leurs compatriotes. Mais également la chasse aux collaborateurs, à la suite du célèbre procès de Nuremberg.
J’ai donc plongé mes personnages dans cette ambiance, essayant de lui redonner vie. Cette période, difficile pour les adultes, avait un aspect fait de simplicité, de petits bonheurs qui paraîtraient si dérisoires, voire ridicules de nos jours.
Bien entendu, j’écris pour mon plaisir, en décrivant les personnages qui m’intéressent, en espérant qu’ils toucheront mes éventuels lecteurs.
A nouveau dans ce quatrième roman, nous suivons l’histoire d’un jeune homme contraint de grandir trop vite. Vous nous aviez indiqué aimer traiter l’adolescence parce que c’est à ce moment-là que chaque individu se construit et a besoin de repères pour son avenir, mais qu’en est-il de votre choix systématique de figure masculine en tant que personnage principal ? Pourquoi privilégiez-vous les jeunes hommes aux jeunes femmes, pourtant confrontées aux mêmes doutes ?
Question complexe. C’est une évidence que les adolescentes sont confrontées aux mêmes problèmes, aux mêmes doutes. Étant une femme moi-même, je suis plus apte à comprendre leurs réactions face aux aléas de la vie. Pour moi, le caractère féminin est plus facile à aborder, pouvant moi-même me mettre à leur place. Ce sont les actions masculines qui m’intéressent. L’on a trop facilement tendance à considérer les femmes comme de petites choses fragiles, ayant besoin de la protection, de la direction des hommes, incapables d’assumer des responsabilités, ayant tendance à se laisser dominer par leurs émotions. Seules les femmes peuvent pleurer. Pour un homme, il est hors de question d’agir ainsi. Il est inconcevable de voir un homme en larmes. Aussitôt, on le considère comme un personnage sans caractère, dominé par ses émotions, d’une sensiblerie honteuse.
C’est cela que j’ai voulu traiter, loin du côté dominateur, un rien macho, attribué aux hommes. Dans la plupart des romans, les femmes sont omniprésentes, ce qui est parfaitement normal, les auteurs en parlent beaucoup mieux que je ne le ferais. Je n’éprouve pas le besoin de les suivre.
D’autre part, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, je ne choisis pas mes héros. Ce sont eux qui s’imposent progressivement à mon esprit.
Mais les femmes ne sont pas totalement absentes de mes romans. Elles sont certes au second plan, font peu parler d’elles, mais leur caractère, souvent énergique, apparaît en filigrane. Elles ne sont pas secondaires, même si elles peuvent en donner l’impression. Au contraire, elles jouent un rôle souvent déterminant dans la vie de mon héros.
Dans Le Chemin sans Étoile, c’est sa propre détestation qui la conduit à reporter cette haine sur son fils, le rendant responsable de sa situation.
Dans La Tragédie de Waltenburg, c’est la naissance de son fils Cyril, la conduisant aux portes de la mort, qui lui fera le renier.
Dans Le Violon Enchanté, c’est sa faiblesse face au caractère intransigeant de son mari qui l’empêchera de protéger son fils Ghislain face à son père.
Dans Le Concerto de Copenhague, la figure maternelle est au contraire toute douceur, emblème de la protection, de l’amour maternel pour son enfant, présence foudroyée par la guerre.
Donc si mes héros sont masculins, la figure féminine est omniprésente. C’est elle qui détermine en quelque sorte, le destin de mon personnage central.
Pourriez-vous nous en dire plus sur votre routine d’écriture ? Comment Le Concerto de Copenhague est-il devenu le roman que nous pouvons désormais lire ?
Au départ je n’avais pas de routine d’écriture. Celle-ci s’est progressivement imposée après l’acceptation de mon premier manuscrit par les éditions Amalthée. Ce sont elles qui m’ont donné le désir de poursuivre dans cette voie. Aimant l’Histoire, il m’a paru évident d’en faire le support de mes romans, constituant la trame sur laquelle se greffent mes personnages imaginaires, que je veux aussi proche que possible de la réalité.
Mon premier roman se situant au XXe siècle, j’ai voulu que l’action du suivant se déroule à une autre époque. Je suis donc partie sur la période du XIXe en Europe centrale, au moment où la Prusse va tout faire pour construire son vaste empire en annexant les petites principautés et petits royaumes de cette partie du monde.
Donc avant de me lancer dans une nouvelle histoire, je réfléchis à la période au cours de laquelle je désire faire évoluer mes personnages. Cette époque doit correspondre à une période pour laquelle j’ai déjà quelques connaissances et des affinités. A partir de là, en ce qui concerne mes personnages, leur physique, leur âge, leur environnement, je laisse mon imagination faire son travail. Petit à petit, ce sont eux qui prennent vie, qui m’imposent, en quelque sorte, leur histoire. Je ne fais que mettre par écrit ce qu’ils me content. Pendant cette gestation, c’est tout un travail de recherche, de documentation que j’effectue.
L’histoire du Concerto de Copenhague de la même façon s’est imposée à moi, au travers des souvenirs d’enfance de Stéphane Rouvereuil, en particulier ceux attachés à ses quinze ans, reflet de mes propres souvenirs. L’année 1950 s’est d’emblée imposée à mon esprit. Ensuite, il m’a suffi de faire vivre la bande de copains dans cette après-guerre, période très troublée, encore dominée par les conséquences de la guerre, conséquences matérielles en raison des bombardements, des villes et villages en ruine, mais également psychologiques. En 1950, les traumatismes étaient loin d’être éteints.
En réfléchissant à vos questions, je m’aperçois qu’il existe un fil rouge presque invisible qui relie également tous mes romans : l’éducation. Sa sévérité durant ces années-là n’a plus rien à voir avec celle que nous connaissons, notamment depuis mai 68, dont la tendance plus tolérante, pour ne pas dire permissive, est aux antipodes. Évidemment, il s’agit pour moi d’une constatation et non d’un jugement critique.
Que préférez-vous dans l’activité d’écrivain ? Est-ce le travail de recherche, le temps d’écriture, la réécriture ou la rencontre avec vos lecteurs ?
En fait cela constitue un tout presque indissociable.
En tout premier lieu, si j’écris, c’est tout d’abord pour mon plaisir personnel. Déterminer une époque, songer aux personnages que l’on aimera voir évoluer est un vrai bonheur.
Une fois la période choisie, vient le temps de la recherche, la sélection des livres englobant le plus de domaines possible. Chaque livre lu est ensuite résumé. S’il s’agit d’un siècle passé, cela comporte non seulement l’histoire militaire, mais également économique, sociale, la vie quotidienne des habitants dans les villes et villages. La description des paysages, de la mode vestimentaire, des activités. Je m’imprègne progressivement de cette époque, des costumes, des coutumes, de façon à me représenter mes personnages ainsi vêtus, de vivre en pensée dans cette époque.
C’est passionnant, car l’on acquiert une culture extraordinaire. On a l’impression d’y vivre, d’en faire presque partie.
Puis vient le temps de l’écriture. C’est une période un peu stressante, angoissante, car si l’on connait le point de départ de l’histoire, et, dans la plupart des cas, la fin du roman, il y a tout le reste à découvrir, à imaginer. Et c’est là que cela devient fascinant, car ce sont mes personnages qui me conduisent quasiment pas à pas. Ce sont eux qui déroulent leur histoire, qui me l’imposent. Je ne fais que la transcrire aussi inconcevable que cela puisse paraître.
Lorsque j’appose le mot FIN un sentiment de délivrance m’envahit, mais également d’étonnement en constatant que je suis arrivée à terminer le premier jet de mon roman.
Maintenant je peux calmement le relire, le peaufiner en y apportant les corrections, les ajouts, les idées complémentaires qui me viennent à l’esprit.
C’est la période la plus reposante, la plus apaisante, celle où je peux calmement réfléchir à mon récit. Celle où je peux donner le plus de consistance à mes personnages en approfondissant leur caractère.
Ensuite l’envoi du manuscrit à l’éditeur et l’attente de son verdict.
Une fois le manuscrit publié, c’est le bonheur de la rencontre avec les lecteurs, principalement au cours des salons littéraires. Même si l’échange ne se conclut pas par une vente, chaque rencontre, chaque discussion est un moment enrichissant, privilégié. Sans oublier la rencontre avec les autres auteurs, qui au fil des salons sont devenus des amis.
Donc à mon avis, tout ceci forme un tout, même si j’écris avant tout pour mon plaisir, les recherches enrichissant mes connaissances.
Lisez-vous des romans du même genre littéraire que ceux que vous écrivez ou, au contraire, préférez-vous des genres très éloignés ? Vos lectures vous inspirent/influencent-elles pour votre écriture ?
Au lycée j’avais adoré le célèbre Lagarde et Michard, source inépuisable de connaissances littéraires mais également pour les arts, telle la peinture. Dans mon enfance j’ai toujours « dévoré » les livres, les contes de fées avec la Comtesse de Ségur, Andersen, Perrault.
J’ai beaucoup lu les classiques, Corneille, Molière, Racine, les romantiques, les poètes, Lamartine, Châteaubriand, Vigny, Musset, puis Baudelaire, Verlaine, Hugo, sans oublier Alexandre Dumas qui m’a donné le goût du roman historique. Mais également les romans policiers, ceux d’Agatha Christie, Conan Doyle, Edgar Poe.
J’ai beaucoup lu de romans tant en français qu’en anglais. Puis j’ai cessé. Les histoires racontées ne me passionnent plus, même si elles sont bien écrites. Je me suis tournée vers les romans historiques, tels ceux du regretté Jean Diwo extrêmement bien documentés, source de culture, de savoir et d’une écriture splendide. Sans oublier ceux de Jean d’Aillon et de Jean-François Parot, récemment disparu.
Maintenant je ne lis que des ouvrages d’Histoire, recherchant la vérité historique, des livres s’appuyant sur des sources, des archives que les historiens compulsent. Ce sont ces livres qui m’inspirent et constituent la trame de mes romans.
Avez-vous des projets pour les mois et années à venir ?
En ce moment, je suis dans les dernières corrections de mon nouveau roman que les éditions Amalthée ont accepté de publier. C’est un roman historique, bien sûr, dont l’intrigue se déroule sous le règne de Louis XVI et la Révolution.
Mon cerveau étant sans arrêt en ébullition, il est déjà parti sur une possibilité d’un autre récit. Tout est encore très flou. Mais ceci est une autre histoire.
J’espère avoir la possibilité de continuer le plus longtemps possible à créer et vivre au travers de mes personnages, si Dieu me prête vie.
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Je tiens à remercier chaleureusement Wanda-Dominique Tahar-Lang d’avoir pris le temps de répondre aussi précisément à mes questions.
Si vous souhaitez, à votre tour, découvrir les écrits de Wanda-Dominique Tahar-Lang, vous pouvez les retrouver sur Amazon. Vous pouvez également avoir plus de détails sur son site internet et suivre son actualité sur Facebook.
Mes chroniques : Le chemin sans étoile + La tragédie de Waltenburg +
Le violon enchanté + Le concerto de Copenhague